Parlons un peu des héros…

A l’heure des choix, face à la page blanche, l’auteur de Fantasy se trouve au carrefour de plusieurs routes bien périlleuses où le plus petit pas de travers peut transformer son histoire rêvée en farce grotesque, en scénario poussif ou en chef d’œuvre magistral. Choisir son/ses héros est un moment crucial. Beaucoup d’entre nous ont entamé un livre sans lire le synopsis par la seule affection qu’il portait à un personnage tandis que des récits dantesques et des idées merveilleuses étaient gâchés par l’incurie ou le manque de charisme d’un premier rôle boiteux. Alors avant de se jeter corps et âme dans une aventure, autant se poser deux minutes pour réfléchir aux grands profils de héros que nous croisons sur les chemins de la Fantasy.

D’abord, les héros solitaires.

Difficile de centrer son histoire sur un seul personnage à moins d’en suivre la progression du stade de petit scarabée à celui de demi-dieu destructeur. Pour connaître Conan, on a besoin de le voir trimer dans sa mine de sel jusqu’à le sentir se lisser la barbe sur son trône de crâne. Pour comprendre Drizzt, il faut l’avoir vu se débattre parmi les siens, lui, le cœur pur aux talents exceptionnels et s’en extraire, un nouveau monde à découvrir. Tungdil le Nain commence tout petit, maladroit, incapable de porter une hache et bien éloigné des canons raciaux habituels et tout l’enjeu est de le voir progresser à un rythme souvent dicté par son destin hors de commun.

L’inconvénient tient souvent dans cette chronologie. Tungdil se libère trop facilement des habitudes d’une vie, de son éducation faite par un mage et de son petit confort. Quelques épreuves, des rencontres un brin stéréotypées et hop, le voilà devenu champion de sa race, guerrier émérite (ou chanceux) et conciliateur charismatique. Bilbo a le même souci. Il devient très rapidement l’assurance-tout-risque du groupe de Thorin.

Le héros doit-il avoir ça en lui? Quelque chose de larvé que nul n’aurait su voir? Doit-il avoir une force considérable cachée pour renverser le destin du monde à lui seul et souvent par surprise?

Pour cela, trois atouts lui sont proposés:

– Les adjuvants, des guides, des compagnons de route, des sacrifiés pour la cause et à qui l’on rend hommage quand ils survivent et s’inclinent à la fin de la quête.

– Le sang, une hérédité souvent exceptionnelle, telle Daenerys du Typhon ou Aragorn qui leur donne une capacité unique ou les inscrive dans une filiation honorable et courageuse.

– Un artefact, rendant notre héros plus puissant que les autres, sublimant ses capacités, déclenchant des merveilles ou des catastrophes. La Stormbringer d’Elric par exemple peut se décliner en anneaux, couronnes, haches et même en bottes miraculeuses pour peu que l’histoire s’y prête.

L’inconvénient que je vois à ce schéma, c’est le manque d’interactions et de variété. On tourne vite en rond dans la saga, une fois le pinacle atteint, les amis tués puis vengés, les doutes et la remise en question passés, la mort vaincu et les dieux défiés. La notion de solidarité est souvent occultée par l’héroïsme et pour accélérer la métamorphose de monsieur toutlemonde en empereur adulé, il faut souvent passer par des raccourcis honteux et par la bêtise récurrente des méchants, souvent plus incapables et autodestructeurs que réellement agressifs.

Ma préférence va plutôt dans le groupe de héros.

Curieusement, Tolkien nous offre à la fois le meilleur et le pire de ce schéma. Dans The Hobbit, les Nains forment un équipage homogène, compact et souvent propice à l’accumulation comique de chutes plus qu’à la complexité d’une équipe aux compétences multiples et complémentaires. Jackson a gommé cela en donnant à chacun de ses personnages des aspects et des comportements très différents mais qui pourrait réellement trouver en Bifur, Dwalin ou Kili, une capacité dont les autres sont incapables?

A l’inverse, la Communauté de l’Anneau regroupe l’élite de chaque peuple, des enragés capables de vaincre des groupes d’Orcs à un contre cinquante, appuyés par un magicien, tout en étant capables de protéger quatre hobbits dont un voleur de choux, un jardinier et un bourgeois jamais sorti de son trou. Tour à tour, ils tirent à l’arc, trouvent des pistes oubliés, désossent leurs ennemis par dizaines, courent sur des dizaines de lieues et se sacrifient courageusement pour leurs alliés.

Les Hobbits mis de côté, il n’y a pas de déséquilibre dans ce groupe. L’Elfe est aussi efficace que le Nain, Boromir est probablement le meilleur combattant même s’il est moralement faillible, Aragorn est un rôdeur, un survivant, qui passe généralement inaperçu, tandis que Gandalf est la barrière contre la magie noire.

Voilà, à mes yeux, ce qui constitue un véritable héros. Ils sont l’élite dans leur domaine, par leur talent, leur travail ou leur unicité, ils se distinguent du commun des mortels et accomplissent des exploits non pas grâce à leur bonne étoile ou à cause de la stupidité des méchants, mais bel et bien parce qu’ils sont les meilleurs.

Pour moi, le premier roman de Fantasy a été rédigé par Homère. Achille est un héros invincible, nul n’est plus intelligent que Ulysse, ni plus fort qu’Atlas ou plus déterminé qu’Agamemnon. En face, le Prince Hector a toutes les qualités possibles et son frère Paris, juge des conflit entre déesses (?!!) est un archer mortel, alors que la belle Hélène personnifie à elle-seule les dons divins. Dans cette guerre mythique, les dieux interviennent en personne, les héros s’affrontent et font reculer les armées à eux seuls, détruisent totalement le vaincu et doivent affronter mille périls ne serait-ce que pour rentrer chez eux!

Comment offrir le destin d’un monde au premier venu après avoir lu Homère, après avoir vu tant d’anonymes guerriers grecs se faire massacrer par ceux dont on se souviendra à la fin? Pour dire que tout le monde en est capable? Que le rat peut sauver le lion? Que tout le monde peut le faire si… ?

Cette imaginaire assez mainstream, presque Disney, ne survit pas à l’épreuve des faits. Ceux qui ont changé le monde étaient les plus intelligents, les plus forts, les plus rapides, les plus mauvais, les plus volontaires, les plus fous, les plus…

C’est précisément cela que j’ai envie de lire. Des héros d’exception qui utilisent leurs dons pour des défis d’exception. Pas seul bien sûr, en combinant les forces de dix d’entre eux, on peut renverser un monde! Voilà pourquoi, parmi les Enfants de Platin, quinze d’entre eux sont des héros et que cette génération dorée est appelée à ouvrir un nouvel âge pour leur peuple!

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